Il a l’air sympathique et accessible, ce cher Salève, posé à deux pas de Genève, qui voit chaque année des centaines de milliers de promeneurs arpenter ses chemins. Et pourtant, la chose est peu connue, mais ce modeste massif (1 379 mètres aux Pitons) est l’une des montagnes les plus accidentogènes de Haute-Savoie, avec un terrible palmarès de centaines de blessés et de morts depuis deux siècles.
Récit d’un récent secours
Pas plus tard que le 25 octobre dernier, les secouristes du Dragon 74, l’hélicoptère de la sécurité civile, ont sans doute sauvé la vie d’une promeneuse polytraumatisée tombée d’une falaise. Un grand classique du genre, avec trois amis partis randonner sur le massif, du côté de Beaumont. En marche le trio s’égare, puis se sépare. Par message, la promeneuse indique qu’elle redescend à la voiture. Problème, lorsqu’ils rejoignent leur véhicule, l’amie n’est pas là et ne répond plus au téléphone. L’alerte est donnée, l’hélicoptère de la sécurité civile arrive sur zone alors que la nuit tombe. Grâce aux infos des randonneurs, le secteur où se trouvait la femme égarée, truffée de barres rocheuses, est identifié et scruté avec le projecteur de l’appareil. Mais avec une végétation dense, impossible de repérer la victime. Après une bonne heure de vaines recherches, une identification plus fine de la zone où elle devait se trouver va permettre à un gendarme du PGHM (Peloton de gendarmerie de haute montagne) de descendre au sol avec le treuil. Coup de chance ! Il se pose sans le savoir à quelques mètres de la randonneuse, gravement blessée et en hypothermie, mais consciente. Hélitreuillée dans l’hélicoptère, elle sera évacuée vers l’hôpital d’Annecy.
Une montagne accidentogène déjà au 19e siècle
La dangerosité du Salève ne date pas d’hier, comme le montrent les nombreux articles sur les accidents survenus sur le massif publiés dans les journaux d’autrefois. Il y a cent ou deux cents ans, cette montagne prenait déjà chaque année son lot de vies humaines. La seule différence avec aujourd’hui, c’est qu’à l’époque, point d’hélicoptère et de médecin embarqué, mais des secours improvisés par la famille du disparu, avec souvent une conclusion tragique. Ainsi, dans Le Journal de Genève en date du 14 avril 1832, il est question de trois jeunes Allemands en balade au Salève. Au retour, l’un d’eux veut descendre par des chemins escarpés. Le lendemain, ne le voyant pas au travail, ses amis sont partis à sa recherche « et n’ont trouvé que son cadavre », écrit le journal, qui précise que le malheureux a été enterré dans le cimetière protestant de Mornex.
Dans un article paru il y a quelques années, Gérard Lepère, spécialiste du passé de ce massif et membre éminent de la société d’histoire la Salévienne, avait relevé un total d’au moins 63 morts, âgés de 14 à 77 ans, sur 47 années renseignées par la presse locale et par les archives de la Société des sauveteurs volontaires du Salève. Un nombre sans doute loin du compte, car en 1935, en évoquant le décès d’un jeune Irlandais sur le massif, sixième victime de l’année, un journal genevois avançait lui la statistique surprenante, mais assez probable, de 237 accidents mortels au Salève depuis 1897 !
Dans Le Cultivateur Savoyard du 12 novembre 1884, un article informe que le corps d’un promeneur a été retrouvé dans le secteur de la Grande-Gorge.
Le malheureux avait péri plusieurs mois auparavant
Voulant donner une description exhaustive de cette macabre découverte, le journaliste ne fait pas dans la demi-mesure : « La tête manquait à ces débris humains et le reste des chairs avait été mangé par les animaux sauvages. Les vêtements consistent, en un chapeau noir en feutre forme melon, un paletot jaquette en drap couleur verte, pantalon et gilet en drap noir, chaussettes en coton brun foncé, bottines à élastique presque neuve sans clou. D’après les constatations médico-légales, le corps de cet individu était à cet endroit depuis 6 à 8 mois. » Au début du XXe siècle, alors que le Club Alpin Suisse a balisé un ou deux sentiers (Orjobet, Grande-Gorge et qu’une société de sauveteurs a été créée en 1897, un article paru dans le même journal, en mai 1903, montre bien que les moyens de secours de l’époque sont très éloignés des standards actuels (hélicoptère, PGHM, etc.). La victime de cet accident est un dénommé Jean Schmutz, mécanicien genevois de 60 ans, parti randonner un dimanche matin au Salève. Comme il n’était toujours pas rentré chez lui le lundi, son fils va lui-même organiser les secours. Le mardi, à trois heures du matin, un groupe de six personnes se met en route sous une pluie battante. Ils vont arpenter le massif toute la matinée, pour finir par découvrir le corps sans vie de Jean Schmutz sous le Trou de la Tine.