« Sur le territoire, il y a 33 médecins généralistes. Parmi eux, 5 ont déjà annoncé leur départ à la retraite avant fin 2024 et 47 % pourraient partir bientôt », annonce David Van Outryve, président de la communauté territoriale de santé (CPTS) d’Arlysère. Si le bassin d’Albertville est resté relativement épargné par la pénurie de médecins qui touche le pays, la situation va se dégrader rapidement : « Sur les 33 médecins, 19 ont plus de 60 ans (soit 57 %) et 13 ont plus de 65 ans (soit 39 %), précise le président. Alors un départ massif peut être proche, sachant qu’en moyenne, pour un départ à la retraite, il faut deux voire trois médecins pour reprendre ! »
Un manque d’anticipation
Le phénomène ne date pas d’hier et concerne toute la France : « Ça fait des années qu’on tire la sonnette d’alarme. Les études médicales sont plus longues et les jeunes médecins ne veulent plus travailler autant que les anciens, explique le président de la CPTS. Ils ont sûrement raison, on a peut-être eu tort ! »
Pour David Van Outryve, la situation aurait pu être anticipée par l’État. « La population vieillit, et les politiques locaux ne peuvent rien faire tout seuls. La problématique remonte au numerus clausus [nombre de places limité à l’entrée des études de médecine, NDLR]. Mais il va falloir que l’échelon local mette la main à la pâte, en créant de plus en plus de maisons médicales, comme à Gilly bientôt [lire p.8] et en injectant de l’argent public. Devant l’urgence de la situation, ils sont prêts à tout et je les comprends », assure-t-il.
Attirer de nouveaux médecins
Le maire d’Albertville Frédéric Burnier Framboret explique de son côté que le territoire « va entrer dans un désert médical. Les collectivités doivent être généreuses pour accueillir de nouveaux médecins. Il faut être plus attractif de manière générale aussi, avec des places en crèche, du travail pour les conjoints... Notre grand avantage à Albertville, c’est le cadre de vie, la proximité avec Grenoble et Annecy mais aussi les loyers moins exorbitants que dans ces villes. »
La difficulté principale concerne la charge de travail : pour le président de la CPTS, « les médecins ne veulent plus travailler seuls. La charge administrative a beaucoup augmenté. C’est mieux pour les patients, mais en résulte une lourdeur procédurière. » La solution : les cabinets partagés, ou mieux, les maisons de santé. « Quand on se réunit, on paie ensemble une secrétaire », poursuit-il.
Plus de coopération
Le constat est le même chez le maire d’Albertville : « Les médecins qui partent essaient de trouver des repreneurs, sans succès. Ce sont des choses qui ne se rachètent plus. » Alors pour lui, la solution passe par l’écoute des besoins des médecins et davantage de coopération entre les différents corps médicaux : « On va réfléchir à équiper de nouveaux espaces attractifs, comme un nouvel espace santé. L’hôpital a aussi proposé davantage de coopération avec la médecine de ville, cela crée un écosystème plus favorable aux médecins. »
Selon David Van Outryve, la création de maisons médicales peut répondre au problème, mais seulement de manière temporaire. « La solution peut aussi passer par un accord entre les médecins, de travailler une heure de plus par jour par exemple. Il n’y a pas qu’une solution : il faut tout prendre, tout envisager. On établit avec les professionnels et les élus le diagnostic et on voit comment rendre le territoire attractif et comment résoudre des problèmes. »
Selon David Van Outryve, président de la CPTS, les cinq médecins qui ont annoncé leur départ avant fin 2024 prenaient en charge environ 6000 patients.
Comme l’explique le maire d’Albertville, Frédéric Burnier Framboret, la moyenne idéale de médecins par patients s’élève à 1000.
Or, dans l’agglo, les médecins prennent aujourd’hui en charge en moyenne 1500 patients chacun.
Si les médecins les plus âgés décident de tous partir à la retraite, l’agglo risque de se retrouver à 3000 patients par médecins, un chiffre qui la projetterait dans la catégorie des déserts médicaux.
Le manque de médecins généralistes fait partie des questions qui rythment le quotidien de David Van Outryve, président de la communauté professionnelle territoriale de santé. « Dans la mission de la CPTS, la priorité est mise sur «remédier à la pénurie de médecins généralistes » », lit-il sur un document officiel. Même si pour lui, les racines du problème ne peuvent être arrachées que par une politique de niveau national, ce kinésithérapeute qui exerce à Notre-Dame-des-Millières convient qu’il existe des moyens à l’échelon local pour amortir le phénomène.
Pour mener ces projets, « l a CPTS dispose de moyens financiers grâce à des subventions de l’agence régionale de santé, explique son président. Avec les élus d’Arlysère, on a dressé le bilan des médecins présents et des besoins, puis on épluche toutes les possibilités : le projet final va être présenté durant le premier semestre 2023. Beaucoup de choses peuvent être mises en place. On prend toutes les pistes possibles, certaines ne sont pas bonnes et ne donnent rien, d’autres peuvent se révéler intéressantes. »
Outre la création de maisons de santé, certaines problématiques particulières au territoire ont été découvertes : « Par exemple, à Albertville, les internes ne peuvent pas se loger en restant proches les uns des autres. L’un peut se retrouver à Gilly, un autre à Sainte-Hélène et faire la route tous les jours… On pourrait trouver 2-3 apparts dans le centre-ville pour les loger. Comme ça, ils se rencontrent, visitent ensemble la ville et décident peut-être d’y faire leur carrière s’ils apprécient le cadre de vie. »
Autour d’Albertville : le regard d’un maire ancien médecin sur la pénurie de généralistes
La pénurie de médecins généralistes, Claude Duray l’a observée sous tous les angles. Ancien médecin généraliste à la retraite, il est aujourd’hui maire de Frontenex, où cinq médecins se partagent un cabinet médical. Pour lui, la pénurie, « c’est une situation qui se généralise, on est même un peu gâtés sur le secteur : notre territoire est attrayant, les médecins ont envie de travailler dans des contrées intéressantes comme la Savoie. »
Claude Duray a observé une forte évolution depuis l’époque où il exerçait : « Il y a eu une féminisation de la profession, ces femmes ont une famille, des enfants. Et la société a changé, les hommes médecins non plus n’ont pas envie de travailler comme je le faisais, de 8h à 2h du matin. » Lui aussi pense-t-il que les cabinets où les médecins sont seuls ne seront plus repris ? « Bien sûr, j’y suis passé ! J’ai trouvé un repreneur pour une de mes patientèles, mais pas la deuxième. Les médecins ne veulent plus exercer en libéral, peut-être en cabinet de groupe. Je ne regrette pas la manière dont j’exerçais et je les comprends. »
Selon lui, les causes de la pénurie sont multiples : non seulement il y a moins de médecins libéraux qu’auparavant, mais « la patientèle est plus sensible, ils vont plus souvent voir le médecin quand ça ne va pas. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais l’offre médicale n’est plus suffisante, elle ne peut pas répondre. »
Dans sa propre commune, un cabinet médical partagé héberge quatre médecins, plus un cinquième pour les remplacements. « Ça reste insuffisant, les médecins sont saturés. Ils m’ont demandé de créer un cinquième local dans la maison. Pour recruter, les médecins peuvent convaincre les internes qui passent, les intéresser au fonctionnement du cabinet. On met aussi des annonces, mais sans connaître l’endroit c’est difficile d’attirer des gens. »
Autour d’Albertville, l’hôpital prêt à soutenir les médecins généralistes face à la pénurie
« L’offre de soins est très intriquée entre la médecine de ville et l’hôpital, commence Romain Percot, directeur du centre hospitalier d’Albertville-Moûtiers (Cham). Si l’offre de soins diminue en ville, il pourrait y avoir plus de visites aux urgences de patients qui n’en ont a priori pas besoin. » Pour le directeur du Cham, c’est une évidence : l’hôpital doit travailler avec la médecine de ville. « Tout est lié, il faut être dans un cercle vertueux » : si l’hôpital améliore son offre de soins et ses capacités, c’est bénéfique pour les médecins de ville. Et inversement.
Alors différentes pistes émergent : « On est prêts à travailler sur des postes partagés entre la médecine de ville et l’hôpital. Ça peut se partager sur une semaine ou une carrière, la réglementation a récemment changé pour faciliter cet exercice mixte. » Le directeur de l’hôpital évoque, comme le président de la communauté professionnelle territoriale de santé David Van Outryve, l’idée d’un internat pour les étudiants en médecine de passage : « On se projette plus facilement pour travailler et s’installer dans un endroit où on a été formé. Cette idée a été remontée par les médecins début janvier. » Pour le moment, rien de concret en ce sens n’a été lancé, mais le directeur souhaite se tenir à l’idée.
La plupart des idées que mentionne Romain Percot sont des améliorations très concrètes et précises du quotidien des médecins. « Ils sont demandeurs d’outils très simples, comme des annuaires complétés et mis à jour de spécialistes à l’hôpital, des messageries sécurisées pour partager la situation d’un patient... Un candidat à l’installation qui verrait que des professionnels travaillent ensemble et que l’hôpital se soucie de la médecine de ville, c’est un écosystème plus favorable pour les généralistes. » Tout simplement un environnement de travail plus agréable.