La frontière entre la Suisse et l’Italie a bougé, alors à qui appartient le refuge du Cervin ?

Refuge des guides du cervin

« Rifugio guide del cervino », les inscriptions sur ce restaurant d’altitude ne laissent aucune place au doute quant à son emplacement par rapport à la frontière italo-suisse. Le refuge se trouve au plus haut de la vallée de Zermatt dans le canton du Valais et est surplombé par Testa Grigia, la Tête grise en italien. Ce sommet de 3480 mètres marque l’extrémité est du Plateau Rosa, un glacier qui tient son nom de sa couleur quand le soleil vient l’illuminer au crépuscule. D’autres géants avoisinant les 4000 mètres l’entourent : au nord, le petit Cervin et ses 3883 mètres d’altitude, le Breithorn haut de 4164 mètres à l’est et le col de Théodule qui se franchit à 3316 mètres.

Avec le célèbre Cervin comme toile de fond, ce décor est le théâtre de longues négociations entre les autorités suisses et italiennes. La hausse des températures et l’important recul du glacier imposent de revoir la frontière. Le refuge des guides du Cervin pourrait ainsi changer de pays. De nombreux médias ont relayé ce fait insolite lié au réchauffement climatique durant l’été 2022. La situation n’a pourtant rien de nouveau.

« Les frontières ne correspondent plus aux cartes »

Depuis des années, un homme suit de près les évolutions de terrain. Alain Wicht travaille pour l’office fédéral de topographie. Son rôle : responsable de la frontière nationale de la Suisse, excusez du peu ! Il explique comment ces limites peuvent être amenées à bouger. Aux emplacements importants, les frontières peuvent être clairement matérialisées par des bornes, des plaques ou des chevilles. Mais impossible de le faire partout, sur des milliers de kilomètres, en particulier dans des zones escarpées à 4000 mètres d’altitude. Dans ce cas, « on détermine la frontière en mots. Des éléments que chacun est apte de percevoir, comme le bord ou le centre d’un ruisseau », explique Alain Wicht.

Comme dans de nombreuses zones montagneuses, au Plateau Rosa, la détermination de la frontière italo-suisse s’est faite selon la définition de « la ligne de séparation des eaux ». Cette ligne marque l’emplacement où les eaux de pluie changent de sens d’écoulement, souvent sur une ligne de crêtes. Problème, quand la frontière a été calquée sur cette limite dans les années 1940, le glacier était bien présent. Il est depuis marqué par un important recul, « qui s’est beaucoup accéléré ces 10 dernières années ». « Depuis les années 2000, on a remarqué que les nouvelles frontières naturelles ne correspondaient pas aux procès-verbaux de description de la frontière ainsi qu’aux atlas originaux », note le spécialiste qui effectue de nombreux relevés.

Des compromis à établir

La composition de Testa Grigia, où les domaines skiables des deux pays se rejoignent, complique les choses. A sa construction en 1984, le refuge des guides du Cervin se trouvait totalement en territoire italien, ce n’est plus le cas aujourd’hui. « La Suisse n’a jamais eu l’ambition de le récupérer », assure toutefois le responsable des frontières. Ce dernier fait partie de la commission chargée de trouver un compromis et définir une nouvelle démarcation. Si des désaccords ont pu survenir pour trouver une contrepartie au bout de terrain laissé à l’Italie pour qu’elle conserve son refuge, les échanges restent relativement apaisés. « C’est une chance d’être en bonne entente avec tous nos pays voisins, on peut intervenir sur n’importe quelle frontière », confie Alain Wicht avant d’assurer qu’un accord est sur le point d’aboutir au Plateau Rosa.