Bellegarde : l’histoire de Robert Ehrer, photographe émérite des années 20, contée par le Groupe Mémoire

Robert Ehrer et son épouse Eugénie Trouillon sont arrivés à Bellegarde en 1925. Le jeune couple s’est marié à Lyon, où ils ont fait leurs premières expériences de photographes. Ils s’installent d’abord au 25 rue Lamartine, puis l’année suivante au 47 rue de la République, en face du cinéma Les Variétés. L’immeuble de style Art Déco comprend la boutique au rez-de-chaussée et à l’étage un studio vitré qui permet de travailler à la lumière du jour. Sa verrière existe toujours, au-dessus de la bijouterie Jacquet.

Une origine alsacienne

A son arrivée, Robert Ehrer a d’abord dû publier un communiqué dans le journal L’Avenir Régional pour justifier de sa nationalité française et rappeler son statut d’ancien combattant décoré de la Croix de Guerre. Nous sommes aux lendemains de la Grande Guerre dans une société affligée par le deuil de masse. Il est en effet issu d’une famille alsacienne qui porte un nom de consonance allemande. Son père Eugène est né en 1863 à Bischwiller, dans le Bas-Rhin, au nord de Strasbourg.

Comme 1023 habitants de la ville, ses parents décident d’émigrer pour conserver leur nationalité française après l’annexion de la région par l’Allemagne. Elle part s’installer à Châlons-sur-Marne en 1872. Sa mère Jeanne Dugas est née en 1875 en Lozère. Robert est l’aîné du couple. Il est né en 1897 à Rouen, comme ses trois autres frères. La famille s’installe ensuite à Lyon, où son père travaille comme employé de banque. Sur la plupart des photographies qui nous sont parvenues, cet élégant jeune homme porte une Lavallière, une large cravate qui signe le ralliement des jeunes alsaciens francophiles.

« Un commerçant avisé, un peu fantasque mais plein d’imagination » selon son descendant, Jean-Pierre Ehrer

Robert Ehrer demeure à Bellegarde jusqu’en 1935, lorsqu’il cède son commerce à Gautcho Todorof, roumain d’origine. Il reprend ensuite le studio Barrault, à Annemasse, où il exerce au 4 rue du Parc avec sa nouvelle épouse Esther jusqu’en 1975. À son décès en mars 1978, un journaliste local lui rend cet hommage : « Cet homme débordait de vitalité et d’activité. Qui ne l’a jamais vu photographier les convives d’un banquet a sans doute manqué un pittoresque spectacle, une pantomime prise sur le vif avec des appareils et des filtres, des fils et des cordons, des prises et un flash qui partait avant, après, pour s’éclairer finalement au bon moment. Tout un attirail, un remue-ménage et des gags aussi involontaires qu’imprévisibles et désopilants ».

Charles, son oncle d’Amérique

Charles Ehrer à San-Francisco après le séisme de 1906 (Cliché coll. Jean-Pierre Ehrer).

Un des oncles de Robert Ehrer, Charles, a vécu aux États-Unis, où il développe lui aussi une passion pour la photographie. Charles est né en 1861 à Bischwiller et émigre aux USA en 1886. Son nom est conservé dans les registres du centre d’accueil de Long Island à New York.

De New York à San Francisco

À son arrivée, il a la nationalité allemande et est naturalisé en 1900. Il vit d’abord à New York, avant de s’installer en Californie à San Francisco, où il devient secrétaire-comptable. Il est témoin du grand séisme de 1906 et prend de nombreuses photos sur le vif des dégâts causés. Jean-Pierre Ehrer, qui a fait la généalogie de sa famille, a partagé ce cliché.

Selon lui, « il joignait l’humour à ses prises de vue ». Il pose ainsi avec sa femme devant une cuisine en bois construite sur le trottoir, sur laquelle il est possible de lire « retraite des célibataires, menu à la carte, tout est de première classe ».

À cette époque, il était effectivement interdit de cuisiner en lieu fermé car les conduites de gaz avaient été percées.