Bellegarde : les Années 20 vues par le photographe Robert Ehrer

La devanture du studio de Robert Ehrer indique qu’il effectuait des portraits d’art et des photos industrielles. Toutefois, cela ne donne qu’un faible aperçu de son art.

Le photographe s’intéressait en effet à tout ce qui avait trait à la vie de la cité. Son fonds photographique, qui est aujourd’hui en partie perdu et disséminé chez différents collectionneurs, montre à la fois des qualités esthétiques et la profusion des Années Folles.

Le monde du travail

Pendant la décennie qu’il passe à Bellegarde, il produit d’une part des clichés remarquables sur le monde du travail. À la demande des patrons, il photographie les employées des ateliers de couture Gauthier, des électrométallurgistes de Bertolus ou des différents corps de la compagnie ferroviaire P.L.M.

La ville poursuit en effet son développement industriel, notamment grâce à 3 centrales hydroélectriques : sur la Valserine, à la Jonction et à Éloise. Les industries anciennes gagnent encore de l’ampleur et la papeterie développe son emprise foncière sur le plateau de Bellegarde, où s’installent également les laboratoires Sauter. De nouvelles entreprises sont fondées, comme les produits électriques Radios, les cylindres Goyot ou les outillages Billet et Fournier. Une main-d’œuvre toujours plus nombreuse fournie par l’exode rural et l’immigration s’installe en ville, qui passe alors de 4664 habitants en 1926 à 5293 en 1931.

Richesse de la vie sociale

Attiré par le milieu festif qui lui donne d’autres occasions de vendre ses clichés, Robert Ehrer fixe également sur la pellicule toute la richesse de la vie sociale de l’époque. Nous disposons de nombreuses photos de banquets, comme ceux des conscrits ou de la Sainte-Barbe des pompiers. Les collectionneurs affectionnent tout particulièrement ses photographies des cavalcades organisées par l’USBC à partir de 1922.

Sur l’exemple ci-dessous, les cousettes des ateliers Sérignat défilent sur un char en avril 1925. Ehrer est également choisi pour réaliser les photos de classes, qui n’étaient pas encore mixtes. Son travail nous permet aussi de saisir l’importance des patronages catholiques comme les Cœurs vaillants, qui encadraient les enfants en-dehors de l’école et leur inculquaient les valeurs chrétiennes.

Dans un tout autre genre, le photographe immortalise aussi l’un des nombreux groupes de jazz qui font danser les foules de l’époque, notamment au Casino-Dancing de la rue Lamartine.

Le monde festif et associatif

Ce lieu emblématique de Bellegarde était connu dans toute la région pour son cadre chic, sa musique et son parquet !

Ehrer travaille aussi pour les nombreuses associations sportives, comme le club de foot Concordia qui connait de grands succès depuis sa fondation en 1921. Le club fut ainsi champion Ain-Jura dans différentes séries lors des saisons 1921-22, 1922-23, 1927-28, champion des Savoie en 1925-26 et champion du Lyonnais en 1927-28. Les Années Folles sont en effet marquées par le développement de la pratique sportive.

Einstein, Marie Curie, Paul Painlevé…

La réputation de Robert Ehrer lui donne l’opportunité de réaliser des clichés exceptionnels, ainsi ceux d’Albert Einstein, Marie Curie et Paul Painlevé réunis avec d’autres scientifiques à Thoiry, le sultan du Maroc de passage à Nantua, les aviateurs Costes et Le Brix de passage à Bellegarde, ou l’atterrissage du ballon Zeppelin LZ127 à Cointrin en Suisse. Il est en effet passionné par les transports modernes de l’époque qui voient dans les années 1920 le début de la diffusion massive de l’automobile et de la mise sur le marché de modèles emblématiques.

Une des premières automobiles

Ehrer fait d’ailleurs partie des premiers Bellegardiens à disposer d’une voiture individuelle : une Peugeot type172 Cabriolet qui lui permet de se déplacer dans la région. Il photographie les skieurs à Echallon, Giron, Lélex, les colonies de vacances à Confort, au Pré Jeantet. En 1927, il réalise à Lalleyriat un reportage sur le « cyclone » qui ravage le Haut-Bugey. Un cliché personnel partagé par sa famille le montre cette même année, sur une route des Monts du Jura. Il photographie également les premiers accidents de la circulation qui ont lieu en ville.